Nous
l'appellerons la "petite Lili", elle a travaillé au Petit
Echo de la Mode de 1933 à 1945. De façon très simple,
elle a accepté de livrer quelques souvenirs de cette époque,
un peu en vrac, de ses petits soucis personnels à la grande histoire
de la maison, qui donnent une idée de l'ambiance nettement paternaliste
de l'époque, avec tout ce que cela peut comporter d'avantages comme
d'inconvénients. Nous la remercions encore de la sympathie qu'elle
a manifesté en apportant ce témoignage tellement vivant.
La "petite Lili" a souhaité rester anonyme, dans le même
souci les noms des personnes qu'elle a pu citer n'ont pas été
reportés .
Les illustrations sont tirées de numéros du "Petit
Echo" de la période 1930-1940.
Le
Petit Echo
de la Mode,
15 octobre 1933
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"Je
suis entrée au Petit Echo de la Mode en 1933 : j'avais 13
ans. J'étais toute gamine, mais à l'époque,
ce n'était pas anormal de commencer à travailler,
c'était l'âge. J'avais pu y rentrer par relations.
C'était
à côté du Parc Montsouris, dans un immeuble
splendide, avec de vastes escaliers de marbre... J'avais ma place
sur le palier du 3° étage : j'assurais l'accueil, je
faisais remplir les fiches aux visiteurs, je les faisais patienter,
on m'envoyait aussi d'un bureau à l'autre pour porter ceci
ou chercher cela... En principe les employés n'avaient pas
le droit à l'ascenseur, c'était réservé
à ces Messieurs-Dames de la direction. Mais je m'en fichais,
je le prenais quand même! Et finalement on me laissait faire,
on ne me disait rien...
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Mon
chef s'appelait M. Charles ... de la ..., c'est à dire que
la maison était tenue par des nobles d'origine bretonne,
très catholiques: ils étaient très en avance
sur le plan social : par exemple, ils avaient déjà
mis en place un système de vacances, et des dispositions
spéciales pour les femmes enceintes. Le Petit Echo de la
Mode a été créée en 1889 par la baronne
de ...
J'ai
d'abord eu cet emploi à l'accueil, puis après on m'a
mise dans les bureaux, et finalement j'ai travaillé à
la fabrication. Là, il y avait plusieurs services : la "compo",
à la main dans des cadres, la clicherie, nous fabriquions
les clichés en plomb, puis la brochure et le massicot. Il
n'y avait pas que le Petit Echo de la Mode, il y avait aussi Lisette
et Pierrot, Mon Ouvrage, Rustica, et la collection Stella, des petits
romans pour dames.
Le
Petit Echo de la Mode, 1 avril 1934
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Le
Petit Echo de la Mode, 11 février 1940 |
Pendant
la guerre, ça a été difficile : les Allemands
voulaient qu'on travaille pour eux. La direction ne voulait pas,
et pour y échapper a décidé d'aller travailler
à Châtelaudren(en Bretagne), où nous
avions également une imprimerie. Le directeur a donc choisi
une petite équipe, et à la dernière minute,
il a décidé "La Petite Lili va venir aussi!",
et nous sommes tous partis, ensemble, avec des voitures et des camions
qui emmenaient du matériel. Au début, on m'avait réservé
une place dans la voiture de nos chefs : mais le gérant,
M. ..., qui avait décidé de rester à Paris,
a changé d'avis juste avant notre départ et a décidé
de venir avec nous à Châtelaudren. J'ai donc du lui
céder ma place et j'ai fait le voyage dans un des camions!
Un
des véhicule est tombé en panne aux alentours de Laval
: nous nous sommes tous arrêtés, et il y avait pas
très loin un entrepôt en construction où nous
nous sommes installés en attendant.
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Nous
pensions pouvoir prévenir l'imprimerie de Châtelaudren,
d'où quelqu'un aurait pu dépanner le véhicule
pour que nous repartions tous ensemble. Pendant que nos chefs s'organisaient,
avec quelques collègues nous avions décidé
d'aller faire un tour. On se baladait quand il y a eu un bombardement,
c'était les Italiens qui bombardaient.
-!
Vous avez du avoir peur!
-...
Ma foi...oui. Je n'ai pas été blessée, mais
ma robe a été déchirée. Par un éclat
de quelque chose...
Après
le bombardement, nous étions tous revenus à l'entrepôt
en attendant que les gens de Châtelaudren viennent nous dépanner.
Puis des Allemands sont arrivés, et ils ont pris toute l'essence
que nous avions, dans les réservoirs.
Puis
il y avait là (à un poste militaire français
dans les environs) un secrétaire-radio qui est venu nous
dire qu'il avait des nouvelles du Général de Gaulle.
Alors du coup la direction a décidé de rentrer à
Paris, et finalement nous n'avons jamais travaillé à
Châtelaudren. Nous étions restés bloqués
dans cet entrepôt près de Laval environ 8, ou 10 jours...
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La
Collection Stella :
un roman chaque semaine.
N° 243 25 avril 1930
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Je
me souviens qu'à un moment donné, mon chef m'a demandé
de lui taper quelque chose à la machine : je n'avais pas
pris mes lunettes et je n'y voyais rien, il n'y avait rien à
faire! J'étais bien ennuyée, heureusement j'ai pu
m'arranger avec un collègue, bien gentille, qui a tapé
à la machine à ma place...
De retour à Paris, l'usine (l'imprimerie) était
arrêtée du fait des Allemands. Quand elle a pu redémarrer,
les Allemands ont exigé qu'on fasse des livres et des revues
pour eux. La direction n'en avait pas envie, mais ils ont accepté
ça plutôt qu'envoyer des hommes travailler en Allemagne.
Je
l'aimais bien, le gérant, M. ..., il était d'origine
corse, et quand il se mettait en colère ça débitait!
Il me faisait peur mais au fond il était très gentil.
Après mon poste à l'accueil, j'avais travaillé
un moment au service Mon Ouvrage. Alors que je n'avais pas de raison
de m'y attendre, la rédactrice en chef me dit un jour : "Je
n'ai plus besoin de vous". Cela voulait simplement dire pour
moi que j'avais perdu ma place, que je n'avais plus de travail :
j'étais tellement bouleversée par cette nouvelle que
lorsque je quittais son bureau je pleurais à chaudes larmes.
En partant je croisais dans l'escalier le gérant, M. ...qui
me demanda pourquoi je pleurais. Je le lui ai expliqué, et
alors il s'est arrangé pour me faire entrer à la clicherie
(service de l'imprimerie).
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Le
Petit Echo
de la Mode
19 mai 1940
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Collection Stella N° 395
paru le 25 août 1936
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Ce
n'était pas évident, car en principe ce n'est pas
une place pour une femme, mais il a réussi à persuader
le responsable de la clicherie, et de cette manière il m'a
permis de garder mon emploi. Et finalement, j'y ai été
très heureuse : mon nouveau chef voulait m'apprendre à
fond ce métier, il envisageait que je puisse le remplacer
quand il partirait en retraite, il était très patient,
m'expliquait tout très bien... J'ai de bons souvenirs de
la clicherie : tout le monde était très gentil avec
moi, par exemple en hiver, il y faisait très froid, ils (mes
collègues) faisaient chauffer 1 ou 2 briques pour que
j'ai plus chaud au pieds...
Quand
j'étais au Petit Echo de la Mode, je l'avais gratuitement
toutes les semaines, avec Rustica. Je donnais le Petit Echo à
Maman, et Rustica à Papa. Lui gardait ses Rustica, mais Maman,
après l'avoir lu, prêtait le Petit Echo à ses
amies, à l'une, à l'autre, et on ne le revoyait jamais...
Aujourd'hui, j'en ai 3 exemplaires qu'une amie a trouvé par
hasard et qu'elle m'a offerts, dont un de 1889...
J'ai
quitté le Petit Echo en 1945, entretemps je m'étais
mariée et j'attendais mon deuxième enfant. Et voilà..."
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